Cette histoire, nous la connaissons tous. Il y a quelques 400/500 ans, le monde occidental était géocentré : la Terre était un point fixe au centre de l’univers autour duquel les autres astres venaient gambader. Aristote, Ptolémée et la Bible défendaient cette théorie. (Moi non plus je ne connaissais pas Ptolémée mais essayez de prononcer son nom cinq fois d’affilée et vous ne serez pas prêts de l’oublier.) Puis sont arrivés Copernic et Galilée (le premier plutôt au début du XVIe siècle, le second plutôt au début du XVIIe). Ils ont formulé et cherché à prouver les hypothèses suivantes : (1) la Terre est en mouvement autour du Soleil, (2) elle est un simple astre parmi d’autres et (3) nous ne pouvons cerner les limites de l’Univers (et par le même coup nous ne pouvons nous déclarer en son centre). Ils ne se sont pas fait des amis, surtout pas parmi les hommes en soutanes qui étaient alors fort puissants. L’œuvre de Copernic a été condamnée par le Pape en 1616 et Galilée a dû renier ses théories sous les feux de l’Inquisition. Mais, vous le savez, la suite est plus sympa. Environ un siècle plus tard (au début du XVIIIe), la théorie de l’héliocentrisme a été prouvée (par un certain James Bradley). Un peu après, l’interdit papale sur les écrits à ce sujet ont été levé. Super ! La raison a gagné contre l’obscurantisme, nous voilà prêts à devenir des hommes modernes.
Il y aurait des centaines de parallèles à tirer entre cette histoire et la société actuelle. Je vais me limiter à deux.
Observons un peu le comportement de l’Eglise dans cette affaire. On retrouve une structure au pouvoir qui refuse d’étudier sérieusement des faits empiriques car ils vont à l’encontre du système idéologique qui les maintient au sommet. J’entends bien ce que vous me dites mais je refuse de l’admettre non pas parce que cela est objectivement faux mais parce que les conséquences desserviraient mes intérêts. Difficile de ne pas faire le parallèle avec le changement climatique. Nier l’existence du changement climatique malgré les faits empiriques ou admettre à mi-voix sa possibilité sans véritablement en étudier les conséquences ne revient-il pas simplement à protéger le système capitaliste ? Moi, prélat de Rome du XVIIe siècle, je ne peux admettre l’héliocentrisme car pourquoi Dieu aurait-il créé l’Homme a son image pour le placer aux marges de l’Univers ? Moi, homme du XXIe siècle, je ne peux admettre qu’il faut impérativement changer de mode de consommation car comment justifier l’obsession de la maximisation des profits dans un monde où la croissance ne serait plus la loi ?
A l’époque la science est sortie vainqueur de cet affrontement. Elle en a même tiré une nouvelle parure : l’empirisme. La recette du progrès avait été trouvée : l’utilisation de ses sens pour l’observation puis de sa raison pour la déduction. La victoire des sens et du bon sens donc. Soit, mais, oublions l’Eglise un petit temps et imaginons deux minutes les conséquences de ce changement de paradigme pour une personne (éduquée) de l’époque. Le monde était figé, avec l’homme en son Centre et un Dieu tout puissant. Chacun sa place et sa mission, le sens de la vie se trouve dans ce qui s’y joue après. Et tout d’un coup, le seul Soleil est stable et tout est décentré. La véracité de la parole biblique est mise en doute, tout comme la finitude de l’univers et la place qu’y tenait l’Homme. Quel sens donner alors à la vie dans cette absence de cadre ? Nous voilà perdus, déroutés, frustrés. Peut-être est-ce à partir de ce moment-là que nous avons commencé à chercher du sens dans un autre domaine : le progrès, le progrès à tout prix. Se rendre maitre et possesseur de la Nature afin de se donner consistance et peu importent les conséquences.
Je vous conseille d’aller faire un petit tour à la Comédie-Française en ce moment, on y joue une superbe pièce de Brecht, La Vie de Galilée.